L’hédonisme Chrétien : Est-Ce Biblique ?

Le système de sanctification exposé dans le livre intitulé, « Prendre plaisir en Dieu » du Dr John Piper attire de plus en plus l’attention. Il nous a semblé bon et nécessaire d’examiner la grande différence qui existe entre sa conception et celle dite traditionnelle.

« L’hédonisme chrétien » est un terme que le Dr John Piper a repris à son compte dans ses ouvrages pour décrire son schéma de sanctification et de progrès dans la vie spirituelle. Le terme nous paraît certainement très étrange, parce que, pour les chrétiens, l’hédonisme est un mot à connotation négative. Il signifie la recherche du plaisir comme étant le bien suprême, mais dans le cas de ce nouveau schéma de vie spirituelle, il fait référence à la recherche du plaisir en Dieu.

L’hédonisme chrétien dit que la recherche du bonheur en Dieu est la source majeure de la puissance et de l’énergie pour la vie du chrétien. Le Dr John Piper est un prédicateur évangélique éminent aux États-Unis. Sa conception est devenue populaire en 1986 avec la publication de son livre : Prendre plaisir en Dieu. Dans cet ouvrage, l’auteur affirme que trouver son plaisir en Dieu est la question centrale de la marche du chrétien. Il le considère comme l’élément principal et le plus important d’une vie de foi.

Le Dr Piper utilise abondamment cette petite phrase : « Dieu est le plus glorifié en nous quand nous sommes plus satisfaits en Lui ». Ainsi selon lui, la recherche de la joie en Dieu et glorifier Dieu ne s’excluent pas.

Pourquoi cet article se propose-t-il d’examiner cet enseignement ? La réponse est toute simple : bon nombre de personnes, y compris beaucoup de pasteurs, sont influencées par ce système. C’est pourquoi de sérieuses mises en garde s’imposent.

Il n’est pas surprenant que les croyants trouvent l’hédonisme chrétien, ou le fait de « prendre plaisir en Dieu », intéressant et attrayant. Faire de l’Éternel ses délices est un exercice magnifique et biblique. Le problème se trouve plutôt dans la formule suggérée par le Dr Piper. Sa proposition altère inéluctablement la compréhension de la sanctification si longtemps défendue par les croyants de tradition reformée, car elle élève un tel devoir chrétien au-dessus de tous les autres devoirs.

Prendre plaisir en Dieu, nous le répétons, devient le moteur principal de toute expérience et de tout devoir spirituels. Cela devient la formule-clé pour toute vigueur ou croissance spirituelle. Tous les autres devoirs du chrétien sont de facto subordonnés à la façon dont nous obéissons à ce devoir pivot qui est de nous réjouir dans le Seigneur. Toute la vie chrétienne est simplifiée pour reposer sur une seule quête. Agir de la sorte ne peut que déformer notre perception de la vie chrétienne et de la manière dont celle-ci doit être vécue.

Quels que soient les points forts du ministère du Dr Piper, et ils sont nombreux, sa tentative de réduire à l’extrême la sanctification biblique est vouée à l’échec, car la méthode biblique de sanctification et de progrès spirituel se compose d’un certain nombre de fils conducteurs ou de voies d’action, qui doivent tous recevoir une attention individuelle. Substituer une idée majeure unique, ou un seul grand principe d’organisation pour en faire le seul principe directeur, revient à modifier le plan et la méthode de Dieu. Des aspects vitaux de la vérité et des pratiques en souffriront et ne recevront que peu ou pas d’attention du tout. C’est certainement le cas avec la méthode du Dr Piper, comme nous allons le montrer.

Cela concerne également toute tentative de construire une formule caractérisé par un seul principe pour la sanctification comme cela a pu être entrepris au cours des années. On peut penser aux différentes branches des mouvements de la piété, qui chacune de son côté a inventé un principe suprême, selon lequel un devoir spirituel particulier a été établi comme supérieur à tous les autres qui, deviennent alors, dépendant de lui.

Il est impossible de réorganiser la manière dont le Seigneur produit les fruits de la piété sans écarter de nombreuses tâches. Les systèmes à principe unique n’ont pas l’intention de faire du mal, mais ils en produisent inévitablement. Pour emprunter un peu au jargon scientifique moderne, la sanctification biblique est un système d’une complexité irréductible. Ce n’est pas qu’il soit trop compliqué. Il ne comporte que sept ou huit vertus bien connues, mais qui doivent toutes être mises en avant dans l’enseignement pastoral.

Peut-être serait-il utile de présenter ici le fondateur de cette nouvelle méthode de vie chrétienne qui consiste à « prendre plaisir en Dieu ». Le Dr Piper, septuagénaire aujourd’hui, est depuis une vingtaine d’années le pasteur principal d’une méga-église de Minneapolis. Avant cela, il était un universitaire, un professeur de faculté biblique. Sans l’ombre d’un doute, le Dr Piper est un calviniste convaincu, et une grande partie de sa bibliographie est tout à fait admirable (bien que sa présentation de l’œuvre du Christ et de la justification ait été contestée).

Le Dr Piper est particulièrement connu pour sa communication passionnée. Ceux qui le connaissent disent qu’il se donne corps et âme dans ce qu’il enseigne. Il est clair qu’il n’est pas un « acteur ». Il écrit et prêche avec un style distinctif et convaincant, facile à suivre de tous, sans pour autant sacrifier la profondeur de son propos. Il excelle également dans l’invention de nombreuses formules extrêmement puissantes et expressives (bien que celles-ci soient souvent mélangées à d’autres formules plutôt surchargées de superlatifs). L’auteur de ces lignes trouve le Dr Piper trop enclin à verser dans l’originalité (avec une façon bien à lui de voir les choses), ce que l’on trouve rarement dans la Bible. Il est passé maître dans l’art de la conception oblique, mais parfois son raisonnement plutôt artificiel nous laisse reconnaissants que l’Écriture, par contraste, soit si directe et exempte de gymnastique philosophique.

La principale proposition du Dr Piper – selon laquelle nous devons faire du Seigneur nos délices – s’impose d’elle-même à nous tous. Elle touche chaque personne. Elle est scripturaire, nécessaire, mais négligée. En conséquence, ce schéma de vie chrétienne attire naturellement notre attention et nous interpelle. Le problème majeur vient du fait que nous en faisons la question suprême de la vie, et le cœur de notre obéissance à Dieu. Le but principal est-il de se réjouir en Dieu ? La racine de toute justice est-elle de faire de Dieu nos délices ? Le plaisir en Dieu est-il la seule motivation véritable et digne des bonnes actions ? Dans le schéma du Dr Piper, toutes les autres vertus chrétiennes, celles allant de l’amour à la maitrise de soi, dépendent de cela. Nous ne pouvons avoir ni motivation ni énergie pour la vie de foi si notre objectif premier n’est pas de nous réjouir en Dieu. Voilà, grosso modo, la méthode qu’il nous propose.

Dans ses ouvrages le Dr Piper fait de son mieux pour nous présenter l’hédonisme comme une idée bien ancienne, mais ses arguments ne sont pas très convaincants. En réalité, le concept ne semble pas remonter plus loin que C. S. Lewis1. Son livre célèbre, intitulé : Le poids de la gloire a beaucoup influencé le Dr Piper dans sa jeunesse. Dans ce livre, C. S. Lewis critiquait les personnes qui considèrent la recherche intéressée de la joie comme quelque chose d’affreux et de mauvais. Ce dernier insiste sur le fait que c’est un devoir de chaque chrétien d’être aussi heureux que possible. (Ceci est caractéristique de la dérive mystique de C. S. Lewis).

Le Dr Piper nous raconte que, étant jeune, alors qu’il fouinait dans une librairie, il trouva un ouvrage intitulé « Le poids de la gloire ». Il y lut le passage sur la recherche de la joie et fut submergé par une toute nouvelle conception de la vie chrétienne. Dès ce moment, il commença à développer la recherche résolue et passionnée du plaisir en Dieu comme principe suprême de toute sa vie.

Le Dr Piper cite souvent Jonathan Edwards et ses affirmations  relatives aux sujets de « faire de Dieu ses délices » et de la joie chrétienne. En faisant référence à Jonathan Edwards, le Dr Piper déclare effectivement : « Regardez, ceci est vieux comme le monde. Voilà ce que croyaient nos pères dans la foi ! ». Il est vrai que Jonathan Edwards fournit des passages de choix sur ce sujet consistant à trouver ses délices en Dieu. Les écrivains puritains anglais le faisaient également, mais en aucun cas il ne construisirent un système dans lequel le concept de l’hédonisme devient le principe-clé de la vie chrétienne. La joie en Dieu se trouve toujours placée aux côtés d’autres devoirs de même importance.

Bien que le Dr Piper cherche à enraciner son système dans le passé, il semble en même temps bien conscient qu’il s’agit d’une idée toute nouvelle. Il admet cela parfois en utilisant le langage de l’innovation par des expressions telles que : « C’est explosif », « C’est stupéfiant », « C’est radical », « C’est dangereux », « Ce n’est pas sûr », « C’est surprenant ». Le Dr Piper sait parfaitement bien qu’il propose une nouveauté. Il utilise même l’expression « ma vision », et c’est ce qu’elle est, car aussi bien intentionnée soit-elle, c’est la vision personnelle du Dr Piper. Il l’appelle aussi « ma théologie ».

L’éditeur du Dr Piper qualifie son livre d’ « ouvrage qui fait changer les paradigmes » et invite le lecteur à se joindre au Dr Piper « alors qu’il vous étourdit encore et encore avec des vérités qui ont un impact sur votre vie et que vous avez vues dans la Bible, mais que vous n’avez jamais osé croire ». La réalité est que personne n’a jamais vu ces vérités dans la Bible avant que le Dr Piper ne les mette en évidence dans les années 1980 !

L’utilisation de l’Écriture par le Dr Piper est un sujet particulier de préoccupation, car ses livres semblent prouver chaque point avec une série de citations pertinentes. Il guide le lecteur à chaque étape au moyen de citations bibliques. Il est évident que cela rend son point de vue intéressant aux lecteurs, mais les Écritures citées ne soutiennent jamais réellement la thèse présentée par le Dr Piper. Je ne suggère pas un seul instant que son utilisation de l’Écriture est sournoise ou manipulatrice, mais il est manifestement tellement porté par sa « vision » qu’il la voit quasiment partout. En voici quelques exemples :

En Deutéronome 28:47-48, nous lisons : « Pour n’avoir pas, au milieu de l’abondance de toutes choses, servi l’Éternel, ton Dieu, avec joie et de bon cœur, tu serviras, au milieu de la faim, de la soif, de la nudité et de la disette de toutes choses, tes ennemis que l’Éternel enverra contre toi ».

Ceci est cité pour soutenir l’idée que la recherche de la satisfaction en Dieu est la motivation-clef de toutes les vertus chrétiennes. Cependant ce texte ne dit pas réellement cela. Il est évident que la force de l’accusation réside dans le fait que les Israélites ont oublié leurs privilèges, et ont refusé d’obéir volontairement à Dieu.

Les versets ne vont pas plus loin que cela. Ils sont accusés à tort de ne pas avoir fait de la joie et du plaisir en Dieu leur objectif premier. Le Dr Piper introduit sa thèse dans le texte, plutôt que de s’inspirer de ce dernier.

Nous pouvons également considérer le Psaume 16 comme un exemple typique de l’utilisation de citations par le Dr Piper. « Tu me feras connaître le sentier de la vie; Il y a d’abondantes joies devant ta face, Des délices éternelles à ta droite » (Psaume 16:11). Un regard sur le contexte montre que David parle de l’éternité, du Ciel. Bien que la joie soit merveilleuse même sur terre, elle est mêlée d’épreuves. Le psaume ne dit rien qui soutienne l’idée que la joie est la clef de la vie spirituelle. Pour le lecteur non averti, de tels textes semblent soutenir ces thèses, mais en réalité, il n’en est absolument rien.2

Une citation très significative est faite du Psaume 37, particulièrement le verset 4 : « Fais de l’Éternel tes délices, et il te donnera ce que ton cœur désire ». Le Dr Piper considère ce verset comme étant un puissant rocher et un fondement pour faire de Dieu notre plaisir, notre devoir et la marche principale de la vie chrétienne. Mais si nous examinons les huit premiers versets qui de ce psaume, nous constatons que le tableau est très différent et beaucoup plus vaste. Le premier devoir apparaît au verset 1 : « Ne t’irrite pas ». Le deuxième devoir : « N’envie pas ». Puis le devoir numéro trois (verset 3) : « Confie-toi en l’Éternel, et pratique le bien ». Ensuite le quatrième devoir (verset 4) : «  Fais de l’Éternel tes délices », qui en fait veut dire console-toi (l’hébreu signifie prends soin de toi). Le devoir numéro cinq (verset 5) est « Recommande ton sort ». Le sixième devoir est « mets en lui ta confiance ». Le septième, « Garde le silence devant l’Éternel ». Enfin le huitième devoir est « laisse la colère » (verset 8).

Nous trouvons au moins huit exhortations distinctes dans cette poignée de versets, et le plaisir en Dieu est loin d’être la première. Visiblement, le psalmiste pense à un ensemble de devoirs distincts et relativement égaux. Il n’en désigne pas un seul en disant : « Si tu fais cela bien, les autres suivront ». Dieu inspira David pour fournir une méthode de sanctification à voies multiples dans laquelle l’attention doit être accordée simultanément à un nombre de devoirs.

Et c’est exactement ce que présente la tradition évangélique. David décrit l’enseignement à voies multiples repris par les réformateurs, les puritains anglais et les grands théologiens continentaux.

Ainsi, le psaume auquel le Dr Piper fait appel pour justifier son principe d’organisation central, enseigne en fait le contraire, en soutenant une approche de la sanctification à plusieurs voies.

C’est pourquoi nous devons dire : Ouvrez largement vos yeux face aux passages des Écritures avancés par le Dr Piper. Ils sont évidemment cités en toute sincérité, avec passion et conviction, mais jamais ils ne soutiennent son schéma très singulier.

Le Dr Piper fait appel aux puritains pour étayer sa thèse. Et pourtant, il est clair que ces derniers avaient une vision tout à fait différente de la sienne. Il cite Richard Baxter, pour démontrer que « faire de Dieu ses délices était le travail de sa vie ». Mais Richard Baxter a rédigé A Christian Directory en 1664-65, le traité le plus complet sur la conduite chrétienne jamais écrit jusque-là. Dans cet ouvrage, il suit une approche à plusieurs voies de bout en bout. Près de 1000 pages en petits caractères fournissent (selon les mots de Baxter) : « Une somme de théologie pratique et des cas de conscience qui guident les chrétiens de façon à utiliser leur connaissance et leur foi. Comment recevoir toutes les aides et tous les moyens, comment accomplir tous les devoirs, comment échapper ou vaincre les tentations et comment mortifier le péché ».

Baxter ne suggère nulle part qu’un seul élément de la vie spirituelle puisse être isolé et devenir la recette « miracle » du succès dans tous les autres domaines.

Les théologiens puritains s’emparent de chaque devoir et de chaque vertu, les définissent, énumèrent les obstacles à leur accomplissement et identifient les encouragements et les aides. Chaque vertu chrétienne faisait l’objet d’une attention individuelle et minutieuse.

Matthew Henry est également cité à l’appui du schéma du Dr Piper, mais pas de manière réaliste, car il accorde lui aussi une attention tout aussi soutenue à chaque vertu chrétienne, chaque problème, chaque tendance au péché. Dans un ouvrage aussi vaste que le merveilleux commentaire de Matthew Henry, il n’est pas difficile de trouver des citations qui peuvent sembler soutenir l’idée que « la joie est tout », mais ce n’est certainement pas la position du grand commentateur. Tous les devoirs chrétiens se chevauchent plus ou moins et se complètent, et les citations à cet effet s’y trouvent à profusion.

Comme nous l’avons relevé, les penseurs puritains croient qu’il faut poursuivre plusieurs voies sans cibler l’une par rapport à l’autre. Ils mettent l’accent sur la mortification du péché, la persévérance, l’obéissance et la prière (jusqu’à l’agonie). Ils nous pressent sur l’importance de l’examen de conscience, y compris même de l’auto-humiliation. Mais ils exaltent aussi les devoirs de louange, d’actions de grâces, de réflexion et, oui, de la joie dans le Seigneur. Cependant, il s’agit d’une approche multiple. Tous les devoirs sont aussi importants les uns que les autres. S’il est possible de voir un devoir élevé un peu au-dessus des autres dans la littérature puritaine, c’est probablement l’obéissance, et non la recherche de la joie, mais cela peut sans doute se discuter sans fin.

Nous nous souvenons aussi que les puritains accordaient une certaine place au fait que les enfants de lumière peuvent marcher dans les ténèbres (Ésaïe 50:10). Ils accordaient une grande attention aux périodes problématiques, lorsqu’on est dans l’obscurité spirituelle. Les grandes confessions de foi, la confession de Westminster et la confession baptiste, indiquent deux raisons pour expliquer les ténèbres spirituelles, lorsque les nuages obscurcissent notre ciel. La première raison est la possibilité de pécher. La deuxième, Dieu Lui-même fait surgir ces ténèbres, dans Sa grâce, pour faire briller notre foi et notre confiance, et ainsi nous faire progresser et gagner en profondeur. En outre, les auteurs anciens considèrent le croyant comme étranger dans un monde hostile, où le péché et l’incrédulité l’environnent, au point d’aspirer à rentrer « chez lui ».

Ces épreuves et ces tribulations doivent être supportées. Elles ne peuvent pas être simplement anesthésiées. Elles font partie du processus de construction de la foi. La déception, la tristesse et le chagrin sont essentiels pour l’examen de soi, tant pour les individus que pour les églises. Elles stimulent aussi la compassion envers les âmes perdues.

Nous ne trouvons pas dans le système du Dr Piper une conception adéquate et équilibrée expliquant les épreuves et les peines ressenties dans nos cœurs. En fait, pour autant que je puisse le voir, la seule façon dont il traite la pesanteur spirituelle est de presser le croyant à se repentir pour la froideur de son cœur. Ceci est le genre de légèreté dans laquelle peut tomber même un homme brillant une fois qu’il a réduit toute l’étendue des vertus et des principes bibliques à un seul aspect.

Nous pouvons encore penser à Richard Baxter, en notant qu’il a un jour prêché un grand sermon intitulé The Causes and Cure of Melancholy (Les causes et les remèdes à la mélancolie) pour les Cripplegate Morning Exercises à St Giles, dans la ville de Londres. Personne ne sait combien de temps ce sermon dura. Deux heures, quatre heures ? Quelle qu’en soit la durée, Richard Baxter n’aurait jamais pu rassembler une telle masse d’observations et de conseils inestimables s’il avait été enfermé dans le système de « prendre plaisir en Dieu ». Il était cependant libre de se concentrer sur la dépression et toutes ses causes aggravantes, et de fournir de l’aide pour la vie spirituelle, sans la distraction d’une formule artificielle.

Prenez, par exemple, la citation faite par le Dr Piper concernant les pensées de Jonathan Edwards : « Dieu est glorifié non seulement par le fait que Sa gloire est vue, mais par le fait que l’on s’en réjouit. Quand ceux qui la voient, se délectent en elle, Dieu est plus glorifié que si l’on se contente de la voir ». Jonathan Edwards affirme-t-il que trouver son plaisir en Dieu est le canal et le principe organisateur pour toute activité ou tout progrès chrétiens ?

Non, car nous tenons compte de l’environnement dans lequel il exerçait son ministère. Son langage a toujours été influencé par la maladie de la société dans laquelle il vivait. C’était une époque où tous fréquentaient l’église. Presque tout le monde était théoriquement un chrétien éclairé par la Bible et bien instruit. Pourtant, il était soucieux de faire la distinction entre ceux qui avaient une véritable vie spirituelle et ceux qui n’en avaient pas. Son langage fait la distinction entre ces deux groupes. Il exprime le fardeau de son message : vous pouvez être un chrétien purement théorique ou un chrétien spirituellement vivant. Le premier se contentera de voir, tandis que le second sera rempli de passion. De même, ses paroles mettent au défi un croyant froid ou rétrograde de reprendre une marche fervente avec le Seigneur. Il n’y a aucune approbation implicite du système unique de sanctification du Dr Piper.

Par moments le Dr Piper montre une crainte que son enseignement puisse conduire à une sérénité mystique. Sa crainte est tout à fait fondée, et l’auteur de ces lignes est convaincu que cela y conduit. Fréquemment, il fait usage du langage clair de la communion mystique. Bien que la joie recherchée découle de la réflexion sur le Seigneur, le but est encore subjectif et pourrait conduire à un bonheur centré sur soi. Pour beaucoup, cela deviendra une préoccupation malsaine, les émotions étant artificiellement « exacerbées » (une caractéristique d’autres mouvements qui préconisent une dominante unique).

Le Dr Piper emploie aussi des passages du Nouveau Testament pour appuyer sa pensée, mais ils ne sont pas appropriés. Prenez Actes 20:35 où Paul cite les paroles de Christ et dit : « Je vous ai montré de toutes manières que c’est en travaillant ainsi qu’il faut soutenir les faibles, et se rappeler les paroles du Seigneur, qui a dit lui-même : Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ». Le Dr Piper veut dire que les délices et le plaisir que nous procure la réflexion sur le Seigneur est la motivation essentielle et l’énergie pour toutes les bonnes œuvres. Et il nous montre Christ comme appuyant cela de Son autorité.

Cependant, Paul n’enseigne pas que nous devons alimenter notre générosité à partir du bonheur dérivé de la contemplation du Seigneur et de Ses bénédictions à notre égard. Cette activité est précieuse, mais elle n’est pas le moteur vital de notre don. Ni Christ ni Paul n’enseigne cela – ils ne font qu’énoncer des faits. Si nous donnons jusqu’au point d’en souffrir, nous pouvons alors nous consoler en pensant qu’il est plus heureux de donner que de recevoir. Il ne s’agit pas d’une leçon sur la manière de nous motiver et de nous donner de l’énergie pour donner, comme si l’accomplissement de nos actes de compassion dépendait du fait que nous nous prélassons dans les délices qui sont les nôtres en Christ.

Il se peut que ce soit pendant le déroulement du Sermon sur la Montagne que Christ ait prononcé Ses paroles. Si ce n’est pas le cas, Il a certainement donné là un enseignement similaire. Dans chacune des Béatitudes, le Seigneur parle du résultat ou de la récompense pour le fait d’avoir supporté une épreuve ou d’avoir accompli un devoir. Il ne cherche pas à nous dire comment nous motiver pour le devoir, mais comment être réconfortés et encouragés par la bénédiction ultime. Notre motivation sera un désir inné d’obéir au Christ, de Lui plaire et de vivre selon Ses normes. Nous serons également motivés par la compassion pour les autres. Tels sont nos motifs et nos désirs. Remplir ses devoirs uniquement pour obtenir une récompense, c’est diminuer ou déprécier le caractère chrétien, et empêcher tout progrès personnel réel. En d’autres termes, notre appréciation de Dieu est une chose, et notre désir de Lui obéir en est une autre. Les deux sont liés, mais l’un ne dépend pas de l’autre.

Cependant le Dr Piper déclare que Christ Lui-même se motivait en pensant à la récompense future. Il cite Hébreux 12:2 où il est dit de Christ : « qui, en vue de la joie qui lui était réservée, a souffert la croix, méprisé l’ignominie, et s’est assis à la droite du trône de Dieu ».

Ce qui a motivé le Seigneur selon le Dr Piper, c’est ce qui est sain, ce qui est saint, ce qui est juste. Il put aller jusqu’au bout de l’épreuve de la croix, uniquement parce qu’Il prit en compte la joie future.

Mais ce n’est pas juste. Le Seigneur Jésus-Christ a pu, en réalité, aller jusqu’au Calvaire parce qu’Il a vu la joie qui Lui était réservée, mais cette joie ne se réfère pas à une simple émotion, mais à l’aboutissement joyeux qu’est le fait qu’une foule de personnes rachetées serait dans la gloire. Ce n’est pas l’anticipation de sa propre joie future qui a dynamisé et motivé le Christ, mais l’heureux résultat du Calvaire, à savoir notre salut et notre délivrance, y compris notre joie. (Au sens large, le mot « joie » est une métonymie dans ce texte).

Lorsque le Seigneur est allé au Calvaire, ce fut un acte désintéressé. Nous répétons qu’en Hébreux 12:2, le terme « joie » représente les résultats de la rédemption. La force de Christ Lui vint de Sa vision de ce qui serait réalisé. Son amour et Sa compassion étaient si grands, que le but de sauver des millions de personnes Le concernait au point d’accepter de payer ce prix inconcevable.

Non, l’amour de Dieu doit être considéré ici dans toute Sa merveilleuse beauté, tout à fait indépendamment de la joie de Dieu. De la même manière, l’amour qui est répandu dans le cœur du chrétien à la conversion est une qualité pure et merveilleuse qui ne demande qu’à s’exprimer. Elle peut être supprimée et ternie pendant certaines périodes par le péché, et elle a certainement besoin d’être entretenue, mais en même temps, c’est une qualité merveilleuse en soi. Elle est désintéressée et ne cherche point son intérêt (cf. 1 Corinthiens 13). C’est un fragment minuscule, infime, microscopique d’un attribut du Dieu Tout-Puissant. Il n’est pas juste de le réduire à une chose neutre, dépendant de la stimulation du plaisir – aussi sacré que soit ce plaisir. C’est un amour qui ne périt jamais, même lorsque la faculté de ressentir des émotions est accablée par le chagrin, ou est blasée.

Un certain degré d’amour se trouve en chacun, même en celui qui n’est pas régénéré. Des personnes inconverties peuvent produire quelques actes charitables et altruistes. Une petite capacité d’amour a peut-être été préservée dans le cœur de l’impie, non parce qu’il le mérite, mais pour laisser la parole à l’Évangile. Les gens seraient incapables de comprendre l’amour merveilleux de Christ, et Son acte au Calvaire, s’il n’y avait plus de reconnaissance ou de concept d’amour dans le monde.

L’amour qui accompagne la nouvelle nature lors de la conversion est une qualité bien plus merveilleuse. Il peut certainement être dynamisé et stimulé dans une certaine mesure en réfléchissant au fait que Dieu en sera satisfait, mais, idéalement, il agit de manière naturelle, par ressemblance avec le Christ et par compassion, puis par devoir et par obéissance à Dieu. L’hédonisme chrétien réduit vraiment l’amour à une relation de cause à effet. Cela semble si spirituel et centré sur Dieu, mais c’est un amour émasculé.

Le Dr Piper renforce son idée pour fortifier l’amour en s’appuyant sur Hébreux 10:34, où nous lisons : « En effet, vous avez eu de la compassion pour les prisonniers, et vous avez accepté avec joie l’enlèvement de vos biens, sachant que vous avez des biens meilleurs et qui durent toujours ». Selon le Dr Piper, la raison pour laquelle le peuple de Dieu pouvait endurer la persécution, avec la perte de ses biens, fut qu’il possédait la joie en Dieu, et la certitude d’un héritage futur. Mais cette idée n’est pas l’intention du passage.

L’expression « avec joie » est évidemment choisie pour montrer combien les Hébreux acceptèrent volontiers la persécution, prix à payer pour soutenir le serviteur du Seigneur. Il ne s’agit pas de montrer qu’ils riaient et sautaient de joie lorsqu’ils étaient punis. Ce n’est pas non plus un aperçu de leur manière de raisonner.

Se dirent-ils : « Dois-je accepter que l’on me prenne ma maison ? Faisons à présent une évaluation des coûts sur le plan spirituel. Considérons ceci : quels sont mes gains ? » Au contraire, le texte nous dit que le facteur qui les motiva fut la compassion pour le serviteur de Dieu en prison. Aussi, ils s’identifièrent à lui, le visitèrent, le nourrirent et accomplirent tous ces autres actes qui attirèrent la colère des autres sur eux. Ainsi, bien que perdant leurs biens et leurs maisons, ils se fortifièrent et se consolèrent en pensant à leur richesse céleste. Cette dernière ne vint pas en premier et ne suscita pas leur comportement sacrificiel. Ce fut leur amour pour la Vérité et leur compassion pour un apôtre qui donna naissance à leur comportement.

Le système du Dr Piper qui prône le fait de prendre plaisir en Dieu va trop loin en attribuant un seul facteur à chaque acte spirituel, et en privant chaque vertu de sa valeur et de sa puissance propres.

L’un des grands problèmes de ce schéma de progrès spirituel consistant à « se réjouir en Dieu » est qu’il place involontairement l’intérêt personnel au cœur même de la vie chrétienne. Il est clair que le Dr Piper ne désirait pas cela, mais c’est inévitable. La recherche de la joie en Dieu a toujours été considérée comme un devoir chrétien, mais elle ne doit jamais être élevée au-dessus des autres devoirs au point de diminuer leurs vertus inhérentes, ni éclipser les aspects négatifs de la vie chrétienne : Les « Tu ne… point ».

Nous obéissons à Dieu parce que c’est notre devoir et, bien entendu, parce que nous L’aimons. Nous Lui obéissons parce qu’Il hait le péché et parce que celui-ci détruit et blesse ceux qui nous entourent. Nous Lui obéissons parce qu’Il est Celui Qui connaît toutes choses et Qui est infiniment sage. Nous Le servons et cherchons le bien spirituel des autres à cause de la dette que nous avons envers Lui et de notre compassion. Nous devons suivre plusieurs pistes dans notre recherche de la piété, au lieu de simplifier la méthode de la Parole.

Andrew Murray, qui mourut en 1917, un écrivain remarquable et un homme plein d’une immense compassion et de ferveur pour l’évangélisation, a inspiré des milliers de lecteurs, par ses livres, pour qu’ils adoptent un système de sanctification à une seule voie. Cependant malgré tous ses objectifs élevés et ses nombreuses vérités, il a altéré la méthode biblique holistique et n’a jamais pu fonctionner correctement. En réalité, il a également tendu le piège de l’orgueil spirituel.

Pour penser à un auteur plus récent partisan d’une méthode à voie unique, voici le cas d’un psychologue chrétien, un homme sincère, dont les livres sont extrêmement populaires aujourd’hui. Il réduit le processus de sanctification à la simple formule des « objectifs bloqués ». D’une certaine manière, cela est assez proche de la vision du Dr Piper, mais comme tous les systèmes avec une voie unique dominante, cela ne peut pas fonctionner. Il existe de nombreux systèmes de ce type. Dans tous les cas, certains péchés ne sont pas abordés et certains problèmes ne sont jamais mis en lumière.

Que dit le schéma de « trouver son plaisir en Dieu » à propos de certains maux grandissant de la scène chrétienne d’aujourd’hui ? Que dit-il au sujet du mouvement charismatique et de l’abandon de la révérence dans le domaine de la musique chrétienne contemporaine ? Que dit-il au sujet des traductions de la Bible qui sont irrévérentes et à propos d’autres tendances effrayantes ? La réponse est que le Dr Piper va exactement dans la mauvaise direction sur ces questions.

Comment cela se fait-il ? Exist-t-il une faiblesse intrinsèque dans son schéma, qui l’amène à faire preuve d’un tel manque de discernement et d’attention ? L’auteur de cet article pense que oui. Tous les régimes à voie dominante unique ont tendance à être aveugles sur les questions individuelles que se pose le chrétien. La préoccupation majeure de tels régimes à voie dominante unique crée une sorte de vision étroitement conçue, et la perception plus vaste leur fait défaut. Le Dr Piper se concentre sur la vision de son système de plaisir en Dieu dans toute la Bible. En faisant cela, sa perception des règles et principes qui portent sur d’autres questions est sérieusement compromise.

En fait, le système du Dr Piper s’apparente beaucoup à la base mystico-émotionnelle de l’expérience charismatique. Il n’est pas surprenant de voir que le Dr Piper l’assume dans une large mesure, et proclame avoir reçu de grands bienfaits de sa propre expérience de la Bénédiction de Toronto. Nous savons qu’il justifie la présence de charismatiques et de non-charismatiques dans une même église, et qu’il encourage tous les signes extérieurs de la vie charismatique. L’hédonisme ne protège guère les principes.

Lorsque le plaisir représente tout, la doctrine subit un revers. Lorsque les émotions subjectives sont exagérément élevées, il devient impossible de prouver et d’examiner toutes choses. Sur les questions charismatiques, et celles du culte moderne également, le Dr Piper est – pour le dire gentiment – un berger peu sûr, et la faute n’en revient ni à sa Bible ni à ses capacités, mais à son système. De même que les meilleurs aspects de son ministère lui valent le respect de ses lecteurs, de même les mauvaises orientations sur des questions potentiellement désastreuses les induiront en erreur.

La Parole de Dieu ne fournit pas un seul principe organisationnel qui régirait et conduirait tous les devoirs qui composent la vie spirituelle. « L’hédonisme chrétien » ne se déduit ni de l’enseignement du Seigneur ni de celui de Paul. Cependant la Bible nous fournit une prescription claire pour la vie chrétienne, et nous donne une liste d’un certain nombre de devoirs moraux et spirituels auxquels nous devons porter une attention directe et individuelle pour chacun d’entre eux. Il nous est donné des listes connues (telles que les Béatitudes du Sermon sur la Montagne, ainsi que les listes de 1 Timothée 6:11-12 et Galates 5:22-233). Il nous appartient d’organiser nos pensées pour accepter une justice à plusieurs pistes. Nous paierons un prix élevé pour toute sorte de système astucieux qui réduit les devoirs bibliques à une formule artificielle, aussi solides et inspirants que puissent paraître plusieurs de ses éléments.

Osons-nous mettre en question l’apôtre lorsque nous lisons la liste de 1 Timothée 6.11-12 ? Dirions-nous : « Un instant Paul, tu as laissé de côté le principe d’organisation. Tu as laissé de côté le merveilleux facteur de simplification. Tu as laissé de côté la formule qui permettra de tout mettre en place » ? Bien sûr qu’il l’a fait, car cette formule n’existe pas. Il s’agit d’une justice à voies multiples. La recherche du bonheur n’est certainement pas notre objectif premier. C’est plutôt la recette de l’autosatisfaction émotionnelle, du subjectivisme et de la « communion » mystique égocentrique avec le Christ.

Comment se fait-il que certains enseignants reconnus aient cautionné les livres du Dr Piper ? On peut présumer qu’ils ont apprécié les nombreux sentiments de qualité et qu’ils ont, automatiquement et avec un esprit de grâce, enjambé l’insistance exagérée de l’auteur sur sa grande idée.

On ne peut pas toujours attendre des examinateurs qu’ils se mettent à la place d’étudiants et de jeunes croyants qui risquent de fonder toute leur approche de la vie sur un système de ce type.

1 Si nous excluons Blaise Pascal, le philosophe et mystique français du dix-septième siècle.

2 Voyez l’article : « Contrastes de la terre et du Ciel ».

3 « Pour toi, homme de Dieu, fuis ces choses, et recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la patience, la douceur. Combats le bon combat de la foi, saisis la vie éternelle, à laquelle tu as été appelé, et pour laquelle tu as fait une belle confession en présence d’un grand nombre de témoins » (1 Timothée 6:11-12).  « Mais le fruit de l’Esprit, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité, la douceur, la tempérance ; la loi n’est pas contre ces choses » (Galates 5.22-23).

Note finale :

Le point de départ du Dr Piper dans « Prendre plaisir en Dieu » est la volonté de réunir les deux parties de la réponse célèbre à la question du Petit catéchisme de Westminster : « Quelle est le but principal de la vie de l’homme ? » Réponse : «  Le but principal de la vie de l’homme est de glorifier Dieu, et de trouver en Lui son bonheur éternel ». L’idée particulière du Dr Piper est de supprimer la virgule de façon à ce que glorifier Dieu et trouver son bonheur en Lui soient une seule et même chose. Ayant forcé les règles de la littérature, il fait de cette compréhension le fondement de tout son système. Il serait peut-être préférable d’examiner cette idée, avec les Écritures qui la justifient, dans un article séparé, mais l’explication de Piper s’éloigne clairement des intentions des théologiens de Westminster.